Extrait 2
Texte :
Solange : Je vous hais ! Je vous méprise. Vous ne m'intimidez plus. Réveillez le souvenir de votre amant, qu'il vous protège. Je vous hais ! Je hais votre poitrine pleine de souffles embaumés. Votre poitrine... d'ivoire ! Vos cuisses... d'or ! Vos pieds... d'ambre ! (elle crache sur la robe rouge) Je vous hais !
Claire, (suffoquée) : Oh ! Oh ! Mais...
Solange, (marchant sur elle) : Oui madame, ma belle madame. Vous croyez que tout vous sera permis jusqu'au bout ? Vous croyez pouvoir dérober la beauté du ciel et m'en priver ? Choisir vos parfums, vos poudres, vos rouges à ongles, la soie, le velours, la dentelle et m'en priver ? Et me prendre le laitier ? Avouez ! Avouez le laitier ! Sa jeunesse, sa fraîcheur vous troublent, n'est-ce pas ? Avouez le laitier. Car Solange vous emmerde !
Claire (affolée) : Claire ! Claire !
Solange : Hein ?
Claire (dans un murmure) : Claire, Solange, Claire.
Solange : Ah ! Oui, Claire. Claire vous emmerde ! Claire est là, plus claire que jamais. Lumineuse ! (Elle gifle Claire)
Claire : Oh ! Oh ! Claire . . . vous . . . oh !
Solange : Madame se croyait protégée par ses barricades de fleurs, sauvée par un exceptionnel destin, par le sacrifice. C'était compter sans la révolte des bonnes. La voici qui monte, madame. Elle, va crever et dégonfler votre aventure. Ce monsieur n'était qu'un triste voleur et vous une...
Claire : Je t'interdis !
Solange : M'interdire ! Plaisanterie ! Madame est interdite. (Son visage se décompose) Vous désirez un miroir ? (Elle tend à Claire un miroir à main)
Claire : (se mirant avec complaisance) J'y suis plus belle ! Le danger m'auréole, Claire, et toi tu n'es que ténèbres.. infernales !
Solange : Je sais. Je connais la tirade. Je lis sur votre visage ce qu'il faut vous répondre et j'irai jusqu'au bout. Les deux bonnes sont là, les dévouées servantes ! Devenez plus belle pour les mépriser. Nous ne vous craignons plus. Nous sommes enveloppées, confondues dans nos exhalaisons, dans nos fastes, dans notre haine pour vous. Nous prenons forme, madame. Ne riez pas. Ah ! Surtout ne riez pas de ma grandiloquence . . .
Claire : Allez vous-en.
Solange : Pour vous servir, encore, madame ! Je retourne à ma cuisine. J'y retrouve mes gants et l'odeur de mes dents. Le rot silencieux de l'évier. Vous avez vos fleurs, j'ai mon évier. Je suis la bonne. Vous au moins vous ne pouvez pas me souiller. Mais vous ne l'emporterez pas en paradis. J'aimerais mieux vous y suivre que de lâcher ma haine à la porte. Riez un peu, riez et priez vite, très vite ! Vous êtes au bout du rouleau ma chère ! (elle tape sur les mains de Claire qui protège sa gorge) Bas les pattes et découvrez ce cou fragile. Allez, ne tremblez pas, ne frissonnez pas, j'opère vite et en silence. Oui, je vais retourner à ma cuisine, mais avant je termine ma besogne.
(Elle semble sur le point d'étrangler Claire. Soudain un réveille-matin sonne. Solange s'arrête. Les deux actrices se rapprochent, émues, et écoutent, pressées l'une contre l'autre)
Claire : Dépêchons-nous. Madame va rentrer. (elle commence à dégrafer sa robe) Aide-moi. C'est déjà fini, et tu n'as pas pu aller jusqu'au bout.
Étude de texte :
- Longues répliques de Solange → elle décharge toute sa haine
- Regard porté sur le corps de haut en bas avec un choix des parties du corps érotiques "poitrine" ; "cuisses"
- Vocabulaire évoquant le dégoût, le rejet
- Remise en question domination de Madame
- "exeptionnel destin" → élément de tragédie
- "Ce monsieur n'était qu'un triste voleur et vous une..." → injure à venir : pulsion de haine qui va dévier sur Claire avec l'expression de la rivalité amoureuse
- Claire très calme ≠ agitation Solange