Incipit La Princesse de Clèves

16/02/2017

Pages 21 et 22 - de "La magnificience et la galanterie" à "de grands seigneurs d'un mérite extraordinaire"

Introduction

Pour le lecteur moderne, un roman est un genre :

  • souple
  • protéiforme ( qui peut prendre plusieurs formes )
  • sans règles 

Selon Gide dans Les Faux Monnayeurs, le roman est le plus "lawless" de tous les genres.

→ La Princesse de Clèves est donc un roman

Mais pour un lecteur du XVIIème siècle, l'oeuvre correspond au résultat d'une fusion de genre :

  • Mémoire : évocations historiques à l'ouverture du texte
  • Roman : intrigue fictive
  • Nouvelle : Narration brève, et simple

L'écriture à cette époque était une activité cachée, Mlle de La Fayette en parle alors de son texte comme si ce n'était pas elle qui l'avait écrit. 

Son jugement sur son texte : "Je le trouve très agréable, bien écrit, sans être extrêmement châtié, plein de choses d'une délicatesset admirable, et qu'il faut même relire plus d'une fois, et surtout ce que j'y trouve, c'est une parfaite imitation du monde de la cour et de la manière dont on y vit. Il n'y a rien de romanesque, ni de grimpé; aussi n'est-ce pas un roman, c'est proprement des mémoires et c'était, à ce que l'on m'a dit, le titre du livre, mais on l'a changé."

- Mme de la Fayette, Lettre du 13 avril 1678 à Lescheraine, secrétaire de madame Royale de Nemours en Savoie


Mais l'oeuvre se rattache malgré tout au genre romanesque tout en étant en rupture avec la registre baroque du XVIIème → Intrigue fictive 

Elle inite le roman d'analyse, il s'agit de donner à voir et à penser l'interiorité des personnages


Enfin, elle se rattache au genre de la Nouvelle : Narration simple et linéaire + texte court qui se rapproche de la concentration tragique 

Nouvelle Historique → Dès l'incipit on ancre l'oeuvre dans une période précise, celle de la cour d'Henri II → Vraisemblance


Quelle représentation de la cour d'Henri II, cadre historique du récit, nous propose cet incipit ? 

I- Un cadre historique exceptionnel en apparence

Incipit → fonction informative

Ici, Mme de La Fayette fait revivre une période qui la précède de 120 ans : l'oeuvre débute en novembre 1558.

Cet incipit à un rôle narratif et informatif fort

A) Un cadre historique présenté de manière précise

Dès la ligne 2, un narrateur omniscient précise le lieu "en France" et le moment "les dernières années du règne de Henri Second". On apprend qu'il s'agit de la Cour des Valois, entre 1558 et 1559 (Henri II meurt le 10 juillet 1559, voir cours sur les personnages de l'oeuvre)  

A savoir : La maison des Valois est la branche cadette de la dynastie capétienne qui a regné sur le Royaume de France de 1328 à 1589, suivie par la dynastie des Bourbons avec Henri IV

L'incipit est une galerie de portraits de personnages historiques qui ont un rôle réferentiel dans le roman

La liste de ces portraits est organisée de façon hiérarchique très stricte:

Le narrateur commence par les personnages les plus importants, la famille Royale en particulier : le Roi (ligne 3), la Reine (ligne 16), Elisabeth de France (ligne 40), Marie Stuart (ligne 42) mais également de Diane de Poitiers la maitresse du roi, dont la présence au sein de ces grands noms et le fait qu'elle soit présentée avant la Reine montre sa grande influence politique

→ Ces personnages ne sont pas fictifs, ils ont une existence en dehros du textes : personnages référentiels → Vraisemblance

De courtes analepses permettent d'informer le lecteur sur des événements passés "il y avait plus de vingt ans" ; "lorsqu'il était encore duc d'Orléans" + des prolepses "qui fut depuis Reine d'Espagne" permettent d'évoquer le destin qu'attend Elisabeth pour un lecteur du XVIIème siècle qui le connaît.

Le narrateur revient sur le roi Henri II en précisant sa situation dans la dynastie royale : Henri II est devenu roi après la mort du Dauphin François, destiné "dignement" selon la mise en apposition à "la place du roi François 1er, son père"


Entrée en matière qui crée l'horizon d'attente d'une narration historique


B) La cour d'Henri II, au coeur même de l'intrigue romanesque

Champ lexical de la cour et des courtisans autour du personnage central, le roi : "prince" ; "duchesse"; "princesse" ; "duc" ; "dauphin" ; "roi" ; "reine" ; "la cour" ; "princesses" ; "princes" ; "la cour de France" ; "seigneurs" Haute noblesse, société raffinée et élitiste

La vie de cour est évoquée au travers de ses divertissements, le divertissement va se faire de manière politique : 

  • Énumération + imparfait d'habitude "tous les jours" ; "des parties de chasse et de paume, des ballets, des courses de bagues, ou de semblables divertissements"
  • Hyperbolisation par les pluriels "les" ; "des" → met en valeur l'abondance
  • Insistance sur le goût du Roi pour les "exercices du corps" ; "une de ses plus grandes occupations"
  • Annonce prophétique de l'accident qui tuera le Roi Henri II lors du tournoi à la fin de la 3ème partie du roman

Mise en valeur des divertissements artistiques à la fin de l'extrait :

  • Rythme ternaire : "les vers, la comédie et la musique" 
  • Hyphallage : "le goût que le roi François 1er avait eu pour la poésie et les letttres régnait encore" → mise en valeur de la continuité de l'interêt pour la littérature d'une période à l'autre
  • Conséquence : "tous les plaisirs étaient à la cour" → Complémentarité de l'influence de François 1er et de Henri II 

Équilibre entre les plaisirs du corps et les plaisir de l'esprits, influence masculine = plaisirs du corps ; influence féminine = plaisirs artistiques


Le divertissement était également présent dans la vie mondaine des salons évoqué à travers le "cercle" de la reine

Société raffinée → Goût portant vers "la grandeur" et vers "toutes les belles choses" par la naissance et l'éducation (démontrée par la peinture exemplaire de Marie Stuart) : "élevée à la cour de France" ; "née avec tant de dispositions"


C) Une magnificience et une perfection apparente

  • Hyperbole insistant sur la "magnificience" et "l'éclat" de la cour

Sens problématique de magnificience : qualité d'une personne, d'un groupe de personne qui vit dans le faste, qui est magnifique, disposition à dépenser sans compter, à faire de grandes libéralités

Expression récurrente d'une perfection physique associée à la cour :

  • Henri II est un prince "bien fait" qui "réussissait admirablement bien tout les exercices du corps"
  • La Reine "était belle", son "cercle" est composé de "tout ce qu'il y avait de plus beau et de mieux fait" "tout" : généralisation

(portraits basés sur la préciosité et non pas sur la vraisemblance)

  • Hyperboles très nombreuses pour mettre en valeur ces perfections : "tant de belles personnes et d'hommes admirablement bien faits" ; "l'incomparable beauté" 
  • Allégorie de la nature "ce qu'elle donne de plus beau dans les plus grandes princesses et dans les plus grands princes" → superlatifs absolus
  • Métonymie : "cette cour belle et majestueuse" généralise la beauté

La caractère exceptionnel de ce cadre :

  • Champ lexical de la grandeur "tant d'éclat" ; "la grandeur" ; "la magnificience" ; "sa naissance" ; "ambitieuse" ; "les belles choses" 
  • Expressions absolues "ne ... jamais" ; "jamais la cour n'a eu tant de belles personnes" ; "le nombre infini de princes et de grands seigneurs d'un mérite extraordinaire" ; "était une personne parfaite"


Transition : Ainsi, l'incipit propose une représentation particulièrement élogieuse de la Cour d'henri II. L'excès des qualités physiques et intellectuelles de la famille royale comme des courtisans semble présenter cette époque historique comme supérieure aux autres par son éclate dès la première phrase. Le lecteur contemporain de Mme de La Fayette, appartenant lui même à la Cour, mais celle de Louis XIV, ne peut que être saisi par cette peinture qui l'invite implicitement à considérer son propre univers. Toutefois on constante que cette 1ère impression s'estompe car la perfection de cette cour se révèle finalement qu'être apparente

II - Mais une réalité plus nuancée, et déceptive


A) Un monde du paraître

  • Modalisateur : "il semblait" → éclat et perfection ne sont qu'une apparence
  • Récurrence du verbe "paraître" → Primautée donnée à ce qui se voit, ce qui représente de manière superficielle l'apparence sans laisser transparaître l'être. 

Apparences :

  • Les "ajustements" de Mme de Valentinois, qui à près de 60 ans, sont comparables à ceux de sa petite fille Mlle de la Marck. Soin de sa toilette pour offrir aux regards une apparence particulière (jeunesse et séduction) 
  • "Dissimulation" hyperbolisée ("si profonde") qui empêche d'atteindre à l'être. Il est "difficile de juger de ses sentiments"
  • Importance des "témoignages" "éclatants" de la "passion" "violente" du roi pour Mme de Valentinois → Apparences extérieures de la passion mais la réalité est que cette passion est vieillissante "commencé il y a plus de 20 ans"
  • Influence et pouvoir de Mme de Valentinois qui s'expriment par "les couleurs et les chiffres" qui "paraissaient partout" → Seulement en apparence, car ce pouvoir est soumis au temps car il prendra fin à la mort de Henri II

B) La cour est en réalité un lieu d'intrigues amoureuses et politiques

Cf. p.31 : "l'ambition et la galanterie étaient l'âme de cette cour"

Importance du thème de la "galanterie" à la cour → répétition du terme.


Définitions :

  1. Conduite fondée sur la distinction, l'élégance de l'esprit et des manières, héritée de la "courtoisie" raffinée - au sens de "manières de cour" - en particulier à l'égard des femmes
  2. Dans la littérature des troubadours, la fin'amor imposait à l'amant un service d'amour pour sa dame analogue au service de preux chevalier qu'il devait à son seigneur
  3. Au XVIème siècle, le galant est un gentilhomme poli, délicat, attentionné dans le domaine des relations amoureuses
  4. Il peut aussi bien mettre en évidence une attitude de séducteur redoutable pour la vertu des femmes


Les grandes occupations de l'époque sont donc basées sur l'ambition (= quête de pouvoir) et sur l'amour → affaires qui reflète la société de Louis XIV et de Henri II

  • Champ lexical de l'amour : "amoureux" ; "aimait" ; "passion" ; "amour" 
  • Euphémisme "attachement"
  • Évocation de l'absence de jalousie "elle ne témoignait aucune jalousie"
  • Expression "le prince aimait le commerce des femmes" → il aimait fréquenter la société féminine
  • Antithèse "les témoignages éclatants" de l'amour du roi pour sa maîtresse "elle avait une si profonde dissimulation" la reine se doit de cacher sa jalousie
  • Importance du mariage à la cour "Mlle de la Marck qui était alors à marier"

On nous présente un trio à la tête de la cour, ce trio est un reflet exact de la cour (pouvoir + amour) : Le Roi, la Reine, la Maîtresse du Roi

Ambition + intrigue politique : 

  • Évocation de "L'humeur ambitieuse de la Reine"
  • Importance de la politique : "la politique l'obligeait d'approcher cette duchesse de sa personne"

C) Des portraits faussement valorisants

Éloge des personnages qui représente en réalité un blâme de la cour → Blâme implicite

Le personnage du Roi : 

  • Personnage présenté comme peu soucieux de régner "plaisirs du corps" ; "divertissements"
  • Brêve description à base de trois adjectifs "bien fait" ; "galant" ; "amoureux" → il ne fait rien d'autre, il passe ses journées à faire du sport, se divertir et séduire les femmes
  • Expression "comme il réussissait admirablement dans tous les exercices du corps, il en faisait une de ses plus grandes occupations" Posture ironique de l'auteur, la seule réussite du roi est celle de ses divertissements
  • Description de son arrivée au pouvoir "prince que sa naissance et ses grandes qualités destinaient à remplir dignement la place du roi François premier, son père" → François premier devait arriver "dignement" au pouvoir, ce n'est pas le cas de Henri II

Le personnage de la Reine :

  • Elle sacrifie tout, elle bride ses sentiments au profit de l'intêret politique : elle accepte d'être trompée pour approcher le roi : "la politique l'obligeait d'approcher cette duchesse de sa personne, afin d'en approcher aussi le roi"
  • Évocation de son ambition "une si profonde dissimulation" ; "il semblait qu'elle souffrit sans peine" ; "elle n'en témoignait aucune jalousie"

Toute la cour semble accepter l'importance des apparences

Conclusion

La présentation initiale du contexte historique repose sur la grandeur et la magnificience de cette cour. Cette présentation élogieuse est en réalité la description d'une cour dissimulatrice dans laquelle seules comptent les apparences. 

Ouverture : Texte de l'aveu → Contraste entre Mlle de Clèves et la société de l'époque

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