La Princesse de Clèves

transition : Ainsi, le portrait de Mlle de Chartres oscille entre suggestion et idéalisation, mais il repose également sur l'éducation morale dispensée par sa mère.

II - L'importance de l'éducation au cœur de ce portrait

 A) La place de la mère dans cette éducation

Influence totale de la mère

• Orpheline de père « Son père était mort jeune et l'avait laissée sous la conduite de Mme de Chartres, sa femme »
• Éloignement total de la Cour « elle avait passé plusieurs années sans revenir à la cour"
• Le portrait de Mme de Chartres est souligné et domine le texte : elle devient sujet de tous les verbes « elle avait donné ses soins » ; « elle travailla » ; « elle avait passé » ; « elle songea » ; « elle passa » ; « elle faisait » ; « elle lui montrait » ; « elle lui faisait voir » ➝ Mlle de Chartres est simple complément d'objet ➝ Réification
• L'expression « sous la conduite de » appuie sur l'influence de la mère : Mlle de Chartres n'a aucune autre référence.
• Imparfait itératif (d'habitude) + répétition de l'adverbe « souvent » ➝ Ressassement et répétition des conseils
• Métaphore de la culture « donner ses soins » ; « elle ne travailla pas seulement » ; « cultiver » ➝ La mère cultive sa fille pour obtenir ce qu'elle veut, elle influence sa fille pour avoir un bon mariage = gagner de l'argent et mettre en valeur la mère
• Emploi du discours narrativisé (voir types de discours ici) « Mme de Chartres avait une opinion opposée ; elle faisait souvent à sa fille des peintures de l'amour ; elle lui montrait ce qu'il a d'agréable pour la persuader plus aisément sur ce qu'elle lui en apprenait de dangereux ; elle lui contrait le peu de sincérité des hommes, leurs tromperies et leur infidélité, les malheurs domestiques où plongent les engagements ; et elle lui faisait voir, d'un autre côté, quelle tranquillité, suivait la vie d'une honnête femme, et combien la vertu donnait d'éclat et d'élévation à une personne qui avait de la beauté et de la naissance » présente la parole maternelle, incarne la vérité aux yeux de Mlle de Chartres, discours qui tente de « persuader » sa fille. (= elle fait appel aux émotions de sa fille pour la manipuler)
• Le narrateur appuie sur la distinction qui oppose Mme de Chartres aux autres mères de son époque « La plupart des mères s'imaginent » ; « Madame de Chartres avait une opinion opposée » et multiplie les marques d'oppositions « pas seulement » ; « aussi » ; « d'un autre côté » ; « mais aussi »

B) Éducation basée sur des champs lexicaux opposés

Opposition de deux attitudes :

• Hommes (pluriel généralise à tous les hommes) : séducteurs, infidèles « le peu de sincérité » ; « tromperies » ; « infidélité »
• Femme, exprimée par l'adjectif « l'honnête femme »

L'opposition entre les deux est marquée par un « d'un autre côté »

Deux champs lexicaux opposés : L'Amour et la Vertu

• L' Amour introduit par le terme « les peintures de l'amour » et décrit par les adjectifs « dangereux » ; « malheurs »
• La Vertu caractérisée par « la tranquillité » ; « l'éclat » ; « l'élévation » ; « le bonheur » mis en valeur par les subordonnées exclamatives + hyperboles « quelle tranquillité » ; « combien la vertu »

Présentation de la vertu comme purement bénéfique : pas d'obligations contraignantes, permet le bonheur et l'accomplissement « lui donner de la vertu et (...) la lui rendre aimable » ; « quelle tranquillité suivait la vie d'une honnête femme, et combien la vertu donnait d'éclat et d'élévation » ; « ce qui seul peut faire le bonheur d'une femme » ; « aimer son mari et en être aimée » ➝ Description de l'héroïsme féminin (à l'époque, l'héroïne était vertueuse, aimait son mari et était aimée ➝ vision réductrice de la femme)

• Morale inculquée austère : elle invite à se méfier des hommes, mais aussi à se méfier d'elle même et de ses passions (= philosophie janséniste voir cours ici)

C) Un portrait qui met en place la vraisemblance psychologique 

Mlle de Chartres, figure de l'idéal et de la perfection plutôt qu'un personnage que le portrait

Sa vraisemblance (notion très importante au XVIIème siècle) est appuyée par la présentation de son éducation passée par analepse (son éducation justifie la fin de l'œuvre)

• La Cour est d'emblée présentée comme un lieu dangereux dont il faut se protéger (entrainera des fuites répétées de la Princesse au cours du roman)
• Les règles inculquées par sa mère enferment le personnage, la Princesse est partagée entre ses désirs et ses lois morales
• L'exaltation du mariage et de la fidélité au mari sont un aperçu du texte de l'aveu (Elle avoue à son mari son amour pour un autre homme, prouvant ainsi sa fidélité et la rendant héroïque car honnête) et du renoncement final (Elle renonce à l'homme dont elle est amoureuse malgré la mort de son mari, elle restera fidèle à son mari jusqu'à sa mort et elle pense que l'homme dont elle est amoureuse la rendra malheureuse et la fera souffrir, car sa mère avait évoqué « le peu de sincérité des hommes, leurs tromperies et leur infidélité »)

CONCLUSION

Mlle de Chartres est donc présentée comme une héroïne exemplaire, figure de perfection (morale et physique) et d'idéal (honnête femme) pour plusieurs raisons :

• Sa noblesse
• Sa beauté
• Sa vertu
• Sa morale
• Sa conduite

Le texte apparaît comme singulier car c'est un portrait peu réaliste, ménageant la vraisemblance des sentiments et des décisions futures de la Princesse de Clèves.

(Distinction VRAI  ≠ VRAISEMBLANT)

Par l'incipit, le lecteur peut constater que la Cour est menée précisément par tout ce dont Mme Chartres souhaite protéger sa fille (galanterie, engagements, infidélité). Les mariages aristocratiques sont conduits par tout sauf l'amour (les alliances de familles, les clans politiques, les intérêts patrimoniaux)

Le narrateur souligne le fait que Mme de Chartres « était extrêmement glorieuse » (cherche à obtenir plus par le biais de sa fille) → l'enjeu de l'intrigue est d'emblée le mariage de Mlle de Chartres

Ouverture : Portrait de Cléomire dans Artamène ou le grand Cyrus, de Mlle de Scudéry