Le désir de peindre

26/05/2017

Il s'agit d'un poème qui reprend le thème de la peinture très présent chez Baudelaire, poème pictural qui permet une mise en évidence du lien entre la peinture et la poésie. C'est un thème qui s'inscrit dans la filiation de l'œuvre d'Aloysius Bertrand qui voyait ses poèmes en prose comme des « bambochades » + Baudelaire était critique d'artlien avec la peinture

Dans ce texte, Baudelaire évoque la difficulté pour "l'artiste" de peindre une femme : c'est ce qu'évoque le titre « Le désir de peindre »désir non assouvi, échec dans la création artistique.

On note la présence du procédé de l'Ekphrasis  au centre du poème. Le poète veut peindre une femme qu'il n'a vu que brièvement et qu'une fois, ce poème est à mettre en relation avec « A une passante » des Fleurs du Mal.

Comment le poète évoque-t-il les difficultés de la création artistique tout en célébrant la femme ?


I - Le portrait d'une passante


A) Une femme insaisissable, que le « je » a rencontré de façon éphémère

La femme est qualifiée d'insaisissable → allégorie de la modernité.

Le caractère fugitif de cette femme est clairement évoqué :

  • Adverbe d'intensité « si » répété à deux reprises : « si rarement » ; « si vite »renforce l'idée de difficulté de représenter celle qu'il n'a qu'entrevue
  • Référence à un passé qui rend difficile toute représentation car le souvenir l'efface : « Comme il y a longtemps déjà qu'elle a disparu ! » → difficulté mise en valeur par la modalité exclamative + structure intensive « Comme » qui insiste sur l'éloignement temporel de cette entrevue
  • Comparaison à « une belle chose regrettable » → exprime la fugacité de cette rencontre, son caractère éphémère, idée de regret

Cette dimension insaisissable est complétée par l'indétermination dans l'identité et la désignation de cette femme :

  • D'abord désignée sous la forme d'une périphrase « celle qui m'est apparue »
  • Reprise pronominale « Elle » insistante sans que la référence de ce pronom soit clairement établie
  • Pronom démonstratif « celle-ci » : elle est similaire au groupe général des « femmes » → renforce la difficulté à la préciser
  • Hyperonyme exprimé par le présentatif « Il y a »
  • Emploi du « mais » adversatif → cette femme appartient à un groupe, mais il est difficile de la singulariser, de la décrire avec précision

Cette femme est ainsi caractéristique de l'esthétique de la modernité définie par Baudelaire

La modernité, c'est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l'art, dont l'autre moitié est l'éternel et l'immuable

- Baudelaire

Cette dimension est également présente dans la thématique de l'obscurité qui est présente dans tout le poème.

B) Un portrait entre lumière et obscurité

Cette femme est décrite entre deux teintes opposées que sont la lumière et l'obscurité qui se retrouvent ici réunies.

  • Antithèse « explosion » / « diérèse »
  • Oxymore « Soleil noir » → référence au poème « El Desdichado » de Gérard de Nerval dans Les Chimères, intertexte frappant que Baudelaire assimile à quelque chose d'impossible avec la proposition qui le complète « Si l'on pouvait.. »
  • Champ lexical de l'obscurité omniprésent « la nuit » ; « le noir abonde » ; « nocturne » ; « les nuées »
  • Relative périphrastique « tout ce que » dans l'expression « tout ce qu'elle inspire est nocturne et profond »réduit la femme à son obscurité
  • Expression « une nuit orageuse et bousculée par les nuées »caractérisation difficile

L'isotopie de la lumière vient contraster avec cette obscurité présente :

  • Expression « scintille vaguement » → l'adverbe « vaguement » vient modaliser, atténuer cette lueur
  • Comparaison « son regard illumine comme l'éclair »forte lueur, insiste sur la luminosité
  • Substantif « éclair » → appuie sur la brièveté de cet éclat lumineux

L'allusion aux « Sorcières Thessaliennes » (= Dans une région de la Grèce, en Thessalie, des sorcières faisaient descendre la lune et plongeaient la cité dans l'obscurité, mise en scène mythologique de l'éclipse lunaire) narrativise en quelque sorte le contraste entre lumière et obscurité → le « Soleil noir » lié traditionnellement à la « hantise de l'obscurcissement du soleil » propose une image synthétique

C) La célébration de cette femme inconnue

Cette femme est célébrée et le poète déploie les ressources du registre épidictique pour en faire l'éloge :

  • Répétition de l'adjectif « belle »
  • Tournure superlative « plus que belle »
  • Adjectif « petit » à valeur esthétique mais aussi hypocoristique 
  • Tournure méliorative « grâce inexprimable »
  • Métaphore « superbe fleur éclose »célébration de sa beauté

Cette célébration esthétique s'accompagne d'un parallèle fait avec la lune :

  • Connecteur à valeur adversative « Mais » + adverbe « volontiers » dans l'expression « Mais elle fait plus volontiers penser à la lune » indique que le poète a trouvé une image propre à représenter cette femme. Le poète est obligé de décrire la beauté de cette femme par les mots puisque c'est un échec par la peinture. On passe forcément par une écriture métaphorique puisque les mots limitent l'expression de cette beauté.
  • Répétition terme « lune »motif rythmique ou leimotiv sémantique propre à exprimer l'importance de cet astre
  • Structure répétée « Non pas la lune.. ..Mais la lune » → femme correspond à la lune, ainsi c'est une lune qualifiée négativement qui permet de décrire cette femme « sinistre » ; « enivrante » ; « vaincue » ; « révoltée »

Ce parallèle crée une dimension inquiétante chez cette femme, ce qui confirme la place de la lune dans le recueil Le Spleen de Paris. Le poème qui suit Le désir de peindre s'intitule Les Bienfaits de la lune, et expose également le caractère effrayant et malveillant de cet astre.

On retrouve là l'aspect fondamental de la poésie baudelairienne, la fascination pour le mal.

Transition : Cette célébration de la beauté de la femme permet à Baudelaire d'explorer les limites de la parole poétique. Le texte devient ici une réflexion sur les pouvoirs et les limites du langage, donnant à cet éloge esthétique une dimension métatextuelle très appuyée.

II - La difficulté de la création artistique

A) Une peinture impossible

Baudelaire évoque ici les difficultés de faire une description précise de cette femme :

  •  Le titre Le désir de peindre → désir inassouvi et impossible à atteindre
  • Maxime générale "Malheureux peut être l'homme, mais heureux l'artiste que le désir déchire" → difficulté de l'artiste à créer son oeuvre
  • Antithèse "Malheureux" / "Heureux" → Confrontation entre l'homme et l'artiste exprimée par le connecteur adversatif d'opposition "Mais"
  • Alexandrin → l'artiste puise son bonheur dans la difficulté de la création artistique
  • Personnification du verbe "déchirer" ayant pour sujet "le désir" → idée de souffrance

L'allusion à la mort dans le dernier paragraphe semble être la suite logique à l'échec de l'artiste. Ne pouvant le peindre, il exprime "le désir de mourir lentement sous son regard"

  • Répétion du substantif "désir" appuie la circularité du poème, objet esthétique qui se referme sur lui-même

B) La recherche d'une parole poétique

Poème qui devient métatextuel, c'est à dire un texte sur le texte, un texte qui parle de la création poétique.

Le poète semble afficher ici son travail de création artistique, un travail de correction sur sa propre parole poétique :

  •  Retouche corrective « Elle est belle, et plus que belle ; elle est surprenante » → l'adjectif courant « belle » semble inadapté à la célébration poétique de cette femme
  • Usage du conditionnel « si l'on pouvait » associé à l'oxymore « Soleil noir »mise en évidence des limites, rejet de cet oxymore. Il faut voir ici la modernité de Baudelaire qui se sépare de ses illustres prédécesseurs
  • Parallélisme consacré à la lune "Non pas la lune.. ..Mais la lune" → évident travail de correction
  • Connecteurs d'opposition "Mais" et "Cependant" → marquent une envie d'opposer le discours, donc de le corriger
  • Anaphore du "je" → nous invite à lire le texte comme un récit du poème  en train de s'écrire, on voit le poète en train d'écrire sous nos yeux

Plus que la célébration de la femme, le poème a pour thème la création poétique elle même, c'est un texte métatextuel.

Cette recherche de la parole poétique exacte marque les limites et l'échec du poète : c'est tout simplement en inventant une nouvelle forme poétique, le poème en prose, que le poète parvient à s'exprimer

C) Le poème en prose comme moyen d'expression poétique

C'est par le recours à la prose que le poète parvient à s'exprimer. 

Le poème en prose est un texte musical:

  • Allitérations en (L) et en (R)

Le poème en prose est un texte bref et circulaire:

  • 6 paragraphes longueurs égales
  • Clausule sur le désir

Le poème en prose est un texte ryhtmé:

  • Structure travaillée
  • Ryhtme binaire dominant
  • Verbe "éclate" avec sa sonorité occlusive → acmé de la phrase + cadence mineure

Le poème en prose est un texte imagé:

Conclusion

Le poème a donc deux fonctions:

  • Célébration esthétique
  • Réflexion poétique

La modernité du poète est très présente dans le texte, elle affiche un travail poétique qui s'éloigne des modèles canoniques. On retrouve également la thématique Baudelerienne de la souffrance de la création artistique.

Ouverture :

  • A une passante, Les Fleurs du Mal de Baudelaire pour ouvrir sur une réflexion sur la poésie en prose et en rêve


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