Les Tragiques, Agrippa d'Aubigné
Texte :
Je veux peindre la France une mère affligée,
Qui est, entre ses bras, de deux enfants chargée,
Le plus fort, orgueilleux, empoigne les deux bouts
Des tétins nourriciers : puis, à force de coups
D'ongles, de poings, de pieds, il brise le partage
Dont la nature donnait à son besson l'usage ;
Ce voleur acharné, cet Ésau malheureux ?
Fait dégat du doux lait qui doit nourrir les deux,
Si que, pour arracher à son frère la vie,
Il méprise la sienne et n'en a plus envie.
Mais son Jacob, pressé d'avoir jeûné meshui
Ayant dompté longtemps en son coeur son ennui,
A la fin se défend, et sa juste colère
Rend à l'autre un combat dont le champ est la mère.
Ni les soupirs ardents, les pitoyables cris,
Ni les pleurs réchauffés ne calment leurs esprits ;
Mais leur rage les guide et leur poison les trouble,
Si bien que leur courrous par leur coups se redouble.
Leur conflit se rallume et fait si furieux
Que d'un gauche malheur ils se crèvent les yeux.
Cette femme éplorée, en sa douleur plus forte,
Succombe à la douleur, mi-vivante, mi-morte ;
Elle voit les mutins, tout déchirés, sanglants,
Qui, ainsi que du coeur, des mains se font cherchant.
Celui qui a le droit et la juste querelle
Elle veut le sauver, l'autre qui n'est pas las
VIole en poursuivant l'asile de ses bras.
Adonc se perd le lait, le suc de sa poitrine ;
Puis aux derniers abois de sa propre ruine,
Elle dit "Vous avez, félons, ensanglanté
Le sein qui vous nourrit et qui vous a portés ;
Or, vivez de venin, sanglante géniture,
Je n'ai plus que du sang pour votre nourriture !
RAPPEL HISTORIQUE SUR LE XXème SIÈCLE ET LES GUERRES DE RELIGIONS
- François Ier, sous l'influence de sa soeur Marguerite de Navarre, ne se montra pas hostile dans un premier temps à la montée du mouvement qui allait donner naissance au protestantisme vers 1530. Mais "L'affaire des Placards" déclenche en octobre 1534 une période de persécutions (exils + exécutions)
Rappels : "L'affaire des placards" est la polémique que provoqua le placardage clandestin d' un texte antipapiste sur les lieux publics à Paris et dans plusieurs villes. Les placards dont il est question étaient des écrits injurieux et séditieux affichés dans la nuit du 17 au 18 octobre 1534 dans les rues de Paris et dans diverses villes du royaume de France comme Blois, Rouen, Tours et Orléans. Ces affiches furent placardées jusque sur la porte de la chambre royale de François Ier au château d'Amboise, ce qui constituait un défi et un affront envers la personne même du roi et sa foi catholique. Cet épisode provoque la radicalisation de François Ier contre les partisans de la Réforme, vis-à-vis desquels il avait été jusqu'alors relativement tolérant.
- Henri II, sous son règne, les persécutions s'intensifient contre les protestants, sont les victimes sont élevées au rang de martyrs. De grands seigneurs se convertissent et la nouvelle religion s'implante peu à peu : On note une augmentation du nombre de croyants suite à l'essor du nombre de martyrs
- François II, sous son règne, de hauts dignitaires protestants, accusés de comploter, sont massacrés à Ambroise. Ce massacre va développer le protestantisme
- Charles IX (dès 1560), sous la tutelle de Catherine de Médicis. En 1562, est signé un Édit garantissant la liberté du culte protestant. Mais deux mois plus tard, le massacre de 75 protestant par les gens du Duc de Guise déclenche une sucession de 8 guerres de religions qui menacent gravement l'unité du royaume
- Henri III (de 1574 à 1589), il mène une politique qui oscille entre le rapprochement avec les ultracatholiques et la réconciliation avec Henri de Navarre, chef du parti protestant et héritier légitime du trône
- De 1562 à 1598, la France déchirée connaît une série de troubles et de massacres, sont le plus célèbre est celui de la Saint Barthélémy en 1572 : A Paris, sur l'instigation de Catherine de Médicis, les catholiques fanatisés assassinèrent des milliers de protestants en une nuit
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Photo : Massacre du 24 août 1572 - La Saint Barthélémy
- Henri IV, (dès 1589), sous son règne, le pays semble définitivement coupé en deux. Il se convertit alors au catholicisme, se fait sacrer Roi à Chartres et implore le pardon du pape → gestes importants car vont apaiser les tensions. Mais c'est surtout l'Édit de Nantes (1598) qui marque la fin des troubles et l'entrée dans un ère de tolérance religieuse en accordant la liberté de culte et l'égalité devant la loi
Rappel : L'Édit de Nantes va mettre fin à la dynastie des Valois, mais au XVIème siècle, Louis XIV supprime cet Édit (1685)
Introduction
Mes yeux sont tesmoins du subjet de mes vers
- Agrippa d'Aubigné, Les Tragiques, livre III
Son oeuvre est donc emblématique du regard porté par le poète sur le monde, et repose sur une rhétorique du témoignage.
Théodore Agrippa d'Aubigné (1552-1630) est un poète dont la vie a été marquée par les guerres de religion car :
- Il est né d'une famille protestante
- Son père est mort dans un combat contre les catholiques
- Il se bat lui même contre les catholiques qu'il hait
- Il échappe plusieurs fois à la mort, échappe de justesse à la Saint Barthélémy en 1572
Il entretient de très bonnes relations avec Henri IV de Navarre, mais lorsque celui ci se convertit au catholicisme, ils se séparent. D'Aubigné entre alors dans la branche extrémiste des protestants, il est contraint de quitter la France en 1620 et décide de se réfugier en Suisse, lieu où il y a beaucoup de protestants. C'est de là-bas que sera publié l'essentiel de ses oeuvres. Il meurt en 1630 à Genève.
De 1577 à 1589, il rédige son oeuvre maîtresse : Les Tragiques, sorte de poème épique en 7 chants qu'il ne publiera qu'en 1616, bien après les guerres de religion. Ces poèmes sont à la fois historiques, politiques et religieux, Les Tragiques sont une oeuvre baroque et servent une volonté didactique et polémique.
- Livre I - "Misères" révèle le désordre qui règne en France
- Livre II - "Les Princes" relatent des vices de la cour d'Henri III
- Livre III - "La Chambre Dorée" dénonce les cours de justice
- Livre IV - "Les Feux" évoquent l'héroïsme des martyrs protestants
- Livre V - "Les fers" évoquent l'héroïsme des martyrs protestants
- Livre VI - "Les vengeances" montrent que Dieu ne saurait rester indifférent à ces souffrances
- Livre VII - "Le Jugement" nous fait assister au rétablissement de l'ordre par la volonté divine
Le texte étudié est extrait du 1er livre, "Misères", qui dresse le tableau du royaume déchiré et décrit le peuple des paysans qui souffre.
C'est un récit poétique qui se déploie sous nos yeux, un tableau qui s'anime sous le pinceau imaginaire du poète, qui représente de manière allégorique une France victime livrée à la guerre civile entre catholique et protestants.
Comment la représentation allégorique de l'histoire référentielle permet-elle d'exprimer l'engagement du poète ?
I - Le récit d'un combat fratricide comme allégorie des guerres de religion
A) Un intertexte biblique qui fait sens et permet l'allégorie
La lutte qui oppose les deux partis incarnés par les deux frères est présenté explicitement comme une variante de l'affrontement entre Jacob et Esaü, les enfants de Rebecca et Isaac dans la Bible.
Récit de l'affrontement entre Jacob et Esaü
- Prédiction divine à Rebecca : elle donnera naissance à deux fils incarnant deux peuples, et l'aîné servira le plus jeune. Jacob naît en second, Esaü est l'ainé.
- Leur père Isaac préfère Esaü car celui ci aime la chasse et l'aventure. Rebecca préfère Jacob qui est raisonnable et casanier.
- Un jour, Jacob prépare un potage de lentilles; Esaü doit céder sondroit d'aîné à Jacob qui le lui demande pour manger le plat.
- Avant sa mort, Isaac, devenu aveugle, veut rétablir Esaü dans ses droits. Rebecca profite de sa cécité pour lui faire donner sa bénédiction à Jacob. Esaü, furieux, décide d'essayer de tuer son frère à la mort d'Isaac.
- Jacob part en exil pendant 20 ans, et à son retour, les deux frères se réconcilient.
Dès le vers 1, l'allégorie de la France sous les traîts d'une "mère affligée" se dessine.
Attributs de la maternité lui sont associés :
- Synecdoque des seins "des tétins nourriciers" ; "le suc de sa poitrine" ; "le sein qui vous nourrit et qui vous a portés"
- Allitération en (d) "les deux bouts / Des tétins nourriciers" ; "D'ongles, de poings, de pieds" ; "Fait dégât du dout lait qui doit nourrir les deux" → Expression de la douceur et de l'amour maternel
- Expression "l'asile de ses bras" → aspect protecteur de la mère
Elle représente la France, déchirée par les guerres de religions.
Esaü
- Présenté comme "le plus fort" ; "orgueilleux"
- Associé à un lexique péjoratif "voleur acharné" ; "malheureux"
- Associé à l'emploi du subjectif et empathique du démonstratif "ce voleur acharné" ; "cet Esaü malheureux"
→ Il symbolise les catholiques
Jacob
- Périphrase "celui qui a le droit et la juste querelle"
- Thème de la justice et du bon droit "sa juste colère" ; "la juste querelle"
→ Il incarne les protestants
- Usage du "mais" adversatif place les deux frères dans une relation conflictuelle d'opposition qui contraste avec la gémellité des personnages évoquée par le terme "besson" et l'union du pluriel "de deux enfants chargée" → affrontement considéré comme contre-nature : La Nature voudrait que fraternité signifie union, solidarité
- Référence à l'intertexte biblique de la Genèse (XXV) → profondeur tragique au sujet, de l'ordre du myhte, évoquant l'idée d'un éternel et fatal recommencement des luttes : Retour éternel d'une même lutte invincible
- Conséquences du combat synonymes de violence, de mort et de désolation ≠ Conséquences postitives dans l'intertexte biblique puisque réconciliation entre les deux frères
B) Le récit d'un affrontement violent
- Lexique de la violence souvent hyperbolisé "arracher" ; "dompté" ; "empoigne" ; "brise" ; "voleur" ; "défend" ; "combat" ; "colère"
- Énumération + Rythme ternaire "à force de coups / D'ongles, de poings, de pieds"
- Allitérations labiales en (b) et (p) "de poings, de pieds, il brise le partage" ; "et leur poison les trouble" ; "par leur coups redoublent" ; "Cette femme éplorée, en sa douleur plus forte" ; "en poursuivant l'asile de ses bras"
- Récurrence de la couleur rouge et du sang "ensanglanté" ; "sanglants" ; "sanglante"
- Métaphore "arracher la vie" ; "viole l'asile"
- Expression de la violence des sentiments "leur rage" ; "leur courroux"
- Métaphore de la haine et de la colère "leur poison"
- Thématique de la mort "sang" ; "arracher la vie" ; "mi-vivante, mi-morte" → envahit le récit pour culminer dans l'évocation symbolique finale d'un sein qui ne donne plus que du "sang" pour toute "nourriture", symbole de vie
L'effacement de l'avenir relève aussi d'une stratégie argumentative soucieuse de mettre en évidence le caractère désespéré d'une situation collective
C) Une progression inexorable dans le poème
Cette progression inexorable est soutenue par la structure du poème, en terme de sujet des verbes :
- 1ère partie - Accent d'abord mis sur le plus fort des deux frères Esaü, et les différents termes le désignant "le plus fort, orgueilleux, empoigne" ; "il brise le partage" ; "ce voleur acharné" ; "cet Esaü malheureux ? / Fait dégat du doux lait" ; "Il méprise"
- 2ème partie - Accent mis ensuite sur le second frère Jacob qui devient à son tour sujet des verbes "Jacob, pressé d'avoir jeûné" ; "Ayant dompté" ; "se défend"
- 3ème partie - Évocation de la rage d'un combat sans merci entre les deux protagonistes, jusqu'à leur quasi anéantissement mutuel "ils se crèvent les yeux" ; "leur rage les guide et leur poison les trouble" ; "Leur conflit"
- 4ème - Accent finalement mis sur la mère qui devient sujet verbal dominant "Cette femme éplorée (...) / Succombe" ; "Elle voit" ; "pressant à son sein" ; "Elle veut le sauver" ; "Elle dit"
→ Composition rigoureuse : il s'agit de montrer un enchaînement aussi impitoyable qu'incontrôlable, le premier déchainement de violence en entraînant un autre jusqu'à l'anéantissement final
Cet enchaînement est également illustré par :
- Usage des vers à rimes plates "...affligée" / "...chargée" ; "...bouts" / "...coups" ; "...partage" / "...usage" ; "...malheureux" / "...deux" → tisse la continuité du texte
- Enjambements et rejets "empoigne les deux bouts / Des tétins nourriciers" ; "à force de coups / D'ongles" ; "il brise le partage / Dont la nature donnait" ; "si furieux / Que d'un gauche malheur" ; "l'autre qui n'est pas las / Viole" → Permettent à la phrase poétique de déborder du cadre du vers
- Gradation ascendante d'une montée progressive de la violence → conduit à une fin funeste
Transition : Ainsi, d'Aubigné utilise le mythe biblique pour exprimer son engagement contre les guerres de religion, par le biais d'un poème allégorique. Les procédés d'amplification et dramatisation permettent par ailleurs d'accentuer l'expressivité du texte.
II - La dramatisation de la scène
L'allégorie frappe l'imagination par la violence des images qui font preuve d'une grande puissance descriptive
A) Une hypotypose frappante
L'hypotypose désigne une figure de rhétorique qui fait la description d'une chose ou d'une scène, comme si elle la mettait devant les yeux du lecteur, de façon animée et vivante.
- Choix du présent de l'indicatif (valeur descriptive ou présent de narration) participe de la volonté, est annoncé dès le début du texte "Je veux peindre" → Dimension visuelle forte, on devient spectateur de l'action en train de se dérouler
- Succession de ces moments rapportés compose les différentes moments d'une hypothypose qui donne à voir le combat entre des instances allégoriques figurant la guerre civile et religieuse déchirant la France, elle aussi incarnée par une mère assistant à la lutte à mort entre ses enfants
- L'hypotypose donne littéralement vie à une France qui se bat contre ses propres enfants et meurt sous nos yeux, dans un extrait qui établit la puissance poétique d'une parole capable de mobiliser des images saisissantes de pathétique au service de sa cause : le lait est remplacé par le sang, le frère empêche le frère de se nourrir en tarissant la source de vie commune
B) Le registre pathétique
Figure d'une Mater Dolorosa développée tout au long du texte à travers :
- Registre pathétique "affligée"
- Parallélisme + Anaphore associés aux "soupirs ardents" ; "pitoyables cris" ; "pleurs réchauffés" ; "femme éplorée" ; "mi-vivante mi-morte" ;
- Prosopopée finale au discours direct "Vous avez, félons, ensanglanté / Le sein qui vous nourrit et qui vous a portés ; / Or, vivez de venin, sanglante géniture, / Je n'ai plus que du sang pour votre nourriture !" → dénonce l'ingratitude des enfants et donne une tournure tragique à la fin du texte
- Triple énonciation de la prosopopée finale : Mère → Enfants / France → Partis / Poète → Lecteurs
Photo : Mater Dolorosa
Le poète laisse jusqu'à son terme un processus dont l'accomplissement mène à l'horreur :
- Suscite l'émotion et appelle à la compassion du lecteur
- Soulignée par la diérèse à l'initiale du vers 28 "vI/O/l(e) en poursuivant l'asile de ses bras" → Restitue toute son importance au verbe ouvrant le vers : "l'asile" des bras est violé, l'ordre est bafoué. Ce qui devait être un asile, lieu de protection, est violé, la violence s'installe au sein même du recueil protecteur que forme les bras de la mère, et, par analogie, le pays Français
C) Procédés d'amplification au service du propos
Étant engagé au service d'une cause, l'écrivain refuse de rester simple spectateur d'un fait historique : il veut toucher son lecteur, le persuader et l'émouvoir. C'est pourquoi les procédés d'amplification ont une importance déterminante dans son texte :
- Métaphore de la mère en champ de bataille "Rend à l'autre un combat dont le champ est la mère" → prouve au lecteur l'importance et l'horreur de cette guerre et la force de conviction du poète
Les procédés d'emphase viennent accentuer l'idée, en particulier les reprises de procédés anaphoriques produisant des effets oratoires :
- Répétition emphatique du démonstratif "ce voleur" ; "cet Esaü"
- Anaphore du "ni" : "Ni les soupirs ardents" ; "Ni les pleurs réchauffés"
- Reprise insistante du possessif "leur" répété phonétiquement en écho par "pleurs" ; "malheur" ; "douleur" ; "coeur" → sonorités graves, tristes, accentuent la tristesse
→ Effet oratoire qui dramatise volontairement le ton du texte et le rend très solennel
Les rythmes participent eux aussi à l'ampleur de l'évocation :
- Usage d'alexandrins
- Enjambements amplificateurs
- Souffle parfois brisé → effet de surprise et d'insistance, introduit la violence et le désordre "Le plus fort, orgueilleux, empoigne les deux bouts / Des tétins nourriciers ; puis, à force de coups / D'ongles, de poings, de pieds, il brise le partage" qui arrivent juste après l'annonce solenelle des vers 1 et 2 "Je veux peindre la France une mère affligée, / Qui est, entre ses bras, de deux enfants chargée." → Morcellement de l'alexandrin représente les coups portés ; le ryhtme est brisé, haché
Transition : Sans s'engager en tant que tel dans le texte (il ne dit qu'une fois "Je"), le poète donne donc la mesure de son engagement par la force des paroles rédigées qui donnent au texte une tournure solenelle qui n'élude jamais la notion de violence et de souffrance. Mais ces procédés restent constamment au service des idées véhiculées par le poème. C'est le reste qui incarne son engagement.
III - La portée didactique et idéologique du poème
A) Dénonciation de l'horreur de la guerre civile
Tout un système d'opposition lexicale est mis progressivement en place pour dénoncer l'horreur de la guerre civile . Ce n'est pas seulement de sang et de morts qu'il s'agit, mais aussi d'atteintes symboliques à un ordre anthropologique, voire cosmique, que le conflit met à mal. C'est la peinture du chaos et du désordre qui exprime la dénonciation
- La mère qui devrait diriger ses enfants est d'abord débordée par eux
- La mère nourricière devient stérile ou mortifière : rime « géniture » ; « nourriture » joue sur les connotations traditionnellement rattachées à la figure maternelle, mais la mention du sang et du venin vient démentir cette idée → instance maternelle devient pourvoyeuse de mort
- Inversion des polarités symboliques : les enfants traditionnellement fragiles, ils sont forts et sèment la désolation
- Les frères deviennent ennemis → Ce qui devrait être uni par toute sorte de liens est séparé, arraché, déchiré.
- Les sujets d'un même royaume entre dans un conflit mortel
→ Les lois biologiques, sociales, anthropologiques voire cosmiques sont mis à mal : la mère ne nourrit plus les fils, les frères sont ennemis, les enfants arrachent la vie à leur mère
Les lois bibliques sont également contestées :
- Le sixième commandement interdisant de commettre le meurtre est bafoué par les fils (l'un envers l'autre, les deux envers la mère)
- Intertexte biblique convoque les figures d'Ésaü et de Jacob, établissant par comparaison l'extrême gravité du crime. Les deux frères jumeaux de l'Ancien Testament se combattent mais ils trouvent un accord et le pardon restaure l'ordre. Ici, la lutte n'entre dans aucun projet divin identifiable : Les deux frères s'entretuent, la mère n'est plus douceur mais colère signalée par la rime «..colère /..mère », le lait se transforme en sang, la vie se transforme en mort etc..
→ Bouleversement de l'ordre biologique, familial, social, atteinte aux lois bibliques.
L'évocation d'une France détruite par ses deux fils fournit donc le prétexte à un récit dramatisé par de nombreux procédés qui dénonce le scandale, élargi aux dimensions de l'univers, d'une lutte fratricide qui vient semer la désolation en bouleversant les équilibres vitaux.
L'évocation biblique est donc mobilisée à des fins d'argumentation : au vu de la différence des conséquences, les guerres d'aujourd'hui ne prévalent celles d'hier. Ces références religieuses viennent soutenir l'idée que les combattants ne font qu'accélérer la ruine de leur mère Nourricière, la France.
Si l'auteur affirme la « juste colère » comme celle des Protestants, à travers l'image de Jacob, il dénonce tout de même la violence et l'horreur des DEUX partis.
Conclusion
On peut donc dire que ce poème utilise tous les procédés oratoires et poétiques pour exprimer les idées du poète. Ce poème apparaît comme un véritable apologue qui repose sur un mythe religieux venant soutenir la thèse du poète qui dénonce les guerres de religions qui mettent à sac la France. Il fonctionne comme un appel qui viendrait stopper ce massacre.
Il reproche aux protestants et aux catholiques une lutte fratricide, il est contre-nature qu'une guerre ait lieu au sein d'une même nation.
Ouverture : Cet usage de la poésie au service de l'engagement dresse la figure d'un poète engagé. Elle rejoint en cela les périodes dans lesquelles ont du s'engager ; les périodes troubles de l'histoire (exemple : Les Châtiments, Victor Hugo contre la dictature de Napoléon III)