Récapitulatif - Le roman
A. Le roman et le réel
Si la spécificité du genre romanesque est de représenter le réel, les visions du monde qu'offre le roman sont multiples.
Vous trouvez pessimistes mes romans. La réalité est beaucoup plus dure
- Olivier ADAM
L'héritage médiéval
☛ Le roman naît au XIIe s. avec la littérature courtoise. L'amour du chevalier, héros paré de toutes les vertus, pour sa dame, devient l'unique objet du récit. Toutefois, la préoccupation du roman est d'illustrer des valeurs universelles et intemporelles (la loyauté, le courage, la fidélité, l'honneur) et non pas des destins individuels. Le cadre spatio-temporel est secondaire, peu décrit, le monde représenté est idéalisé.
☛Le XVIIe siècle qui croit encore à un monde stable aux valeurs immuables, perpétue cette tradition. Ainsi, Madame de La Fayette, avec La Princesse de Clèves, crée une grande héroïne. Toutefois, les qualités de la princesse, en conflit avec sa passion amoureuse, vont la mener à renoncer volontairement à l'amour. Le romanesque est ainsi mis à mal par l'esthétique classique et ses nécessités d'équilibre moral et social.
L'intrusion du réel
☛ Le XVIIIe s. marque un tournant. Les écrivains tentent de représenter le monde tel qu'il est, ancré dans un cadre précis et dans une époque identifiable, mais toujours avec des présupposés qui entravent le romanesque.
Manon Lescaut adhère ainsi à une croyance moralisatrice du XVIIIe s dans le rôle systématiquement destructeur de la passion. Julie ou la Nouvelle Héloïse est indissociable du décor alpestre et de la croyance philosophique de son auteur : Rousseau croit en la bonté originelle de la nature humaine y compris amoureuse. La forme épistolaire de La Nouvelle Héloïse contribue aussi à l'effet d'authenticité : le lecteur a l'impression d'entrer dans l'intimité de personnes réelles.
☛ Le XIXe siècle voit l'épanouissement du romanesque. Le roman doit être l'imitation de la réalité. La description prend une importance majeure, le cadre spatio-temporel est déterminant dans le déroulement de l'histoire. Balzac, Stendhal, puis Flaubert, tentent de dépeindre toutes les expériences humaines
☛Le roman de formation est alors le cadre privilégié du réalisme. En effet, un personnage jeune et naïf est confronté à la réalité du monde. Julien Sorel (Stendhal, Le Rouge et le Noir), Rubempré (Balzac, Les Illusions Perdues) échouent. Rastignac (Balzac, Le Père Goriot), Georges Duroy (Maupassant, Une Vie), eux, entrent dans la mêlée sans états d'âme. Le récit est le support d'une observation méthodique et objective de la société.
☛Le naturalisme pousse cette doctrine encore plus loin : pour Zola, le monde doit être observé avec le regard d'un scientifique qui étudierait les causes de son mal (Zola, L'Assommoir : L'Assommoir s'inscrit dans une série de vingt romans réunis sous le titre Les Rougon-Macquart. Histoire naturelle et sociale d'une famille sous le second Empire. Titre révélateur de l'ambition de Zola : observer le comportement de l'individu avec le regard scientifique du naturaliste. Selon lui, l'être humain est le résultat de la double influence de l'hérédité et du milieu social.)
☛Le courant idéaliste, lui, tente de peindre la réalité tout en lui donnant une dimension poétique. Il mêle l'invention à la peinture du réel pour mieux atteindre le vrai.
Vers l'abandon de l'écriture réaliste
☛ Cette volonté de faire vrai aboutit toutefois à un échec : l'objectivité n'est qu'une illusion. Les romanciers du XXe s, après 1945, soulèvent de graves questions sur l'existence humaine : la culpabilité, le sens de la vie, l'angoisse de l'homme face à la mort. D'où l'étiquette d'existentialistes sous laquelle on réunira Sartre et Camus
☛ Le Nouveau Roman, lui, remet totalement en cause l'écriture romanesque. Dans la lignée de Proust, les auteurs des années 1950 à 70, Duras, Sarraute, Robbe-Grillet, Perec bouleversent le rapport du lecteur au livre. L'auteur crée un monde « en creux », fragmentaire, que le lecteur doit reconstituer lui-même.
☛Aujourd'hui, le genre romanesque propose des ouvrages aux visages multiples, signe d'une liberté créatrice exceptionnelle. Une tendance semble se dessiner malgré tout, relevant de ce que l'on appelle la « Littérature du Moi ». Nourris d'expériences personnelles, revendiquant dans le même temps une part fictionnelle, les auteurs mettent en place des oeuvres dont la part biographique ou autobiographique ne se dément pas.
B. Construction et l'évolution du personnage de roman
(Voir cours complet ici)
Avec le roman naît tout un univers de personnages, du héros exceptionnel et valeureux au personnage quelconque noyé dans la réalité. Un long cheminement qui aboutit en partie, au XXe s. à la déconstruction du personnage.
Retour aux sources
☛ Le roman voit le jour en France au Moyen Âge. Le latin est réservé aux clercs savants, le peuple parle le « roman », dérivé d'un latin dégradé. Après les chansons de geste, épopées chantant les prouesses guerrières et la vie rude des chevaliers (La Chanson de Roland, anonyme) au XIe s., naissent au XIIe s. des oeuvres diversifiées appelées du nom de la langue utilisée : roman.
☛ Au XIIe s. apparaît le roman courtois, destiné à un public de cour, qui commence à découvrir une vie plus raffinée. Le héros se montre toujours généreux et sublime au combat, mais c'est pour plaire à sa dame que le chevalier recherche la perfection. Peu soucieux de réalisme, ces récits créent un monde tout à fait idéalisé (Chrétien de Troyes, Lancelot). La tradition populaire, quant à elle, laisse émerger des récits malicieux et satiriques, comme le Roman de Renart.
Les métamorphoses du héros
☛ Au XVIIe s. s'amorce le déclin des vieux idéaux féodaux. Les romans reflètent alors la vie mondaine des nobles confinés à la cour de Louis XIV, et le héros devient un être plus nuancé, déchiré entre sa grandeur d'âme et sa passion amoureuse (La Princesse de Clèves). En réaction à cet idéal aristocratique se développe une forme de « roman comique ». Le chevalier « sans peur et sans reproche » du Moyen Âge laisse place alors à un personnage caricatural, plongé dans une réalité vulgaire (Don Quichotte, de Cervantès, Le Roman comique, de Scarron).
☛ Le XVIIIe s. prolonge cette évolution. Plus de héros sublime ni de « picaro » bouffon, mais un personnage commun dont l'aventure sentimentale est explorée dans toutes ses nuances et contradictions (Manon Lescaut).
Le personnage malmené
☛ Le XIXe s., avec ses rebondissements historiques et ses mutations sociales, laisse émerger des personnages atteints du «mal du siècle », affadis, fragiles, analysés sans ménagement à travers le regard lucide du romancier. Tout un microcosme voit le jour sous la plume de Stendhal, Balzac, Flaubert, Maupassant, Zola, peuplé d'êtres plus ou moins armés pour affronter le monde. Zola va jusqu'à déposéder ses personnages de toute volonté : ils ne sont que la résultante de circonstances sociales et génétiques.
Le personnage déconstruit
☛ Pour finir, le personnage au destin tout tracé, minutieusement décrit et analysé, disparaît du roman du XXe s. Proust le premier amorce cette déconstruction. Ses personnages, comme les objets et les paysages, n'existent que par le regard d'un « je » indéfini, mi-auteur mi-narrateur.
☛ Dans le Nouveau Roman, le personnage principal, indéfinissable, n'a plus d'identité, plus de nom parfois (Robbe- Grillet, La Jalousie). Le lecteur découvre un inconnu, auquel ne s'applique aucune analyse « psychologisante », présenté de l'extérieur, simple support à un tableau, et dont il doit construire lui-même la personnalité.
☛ Ainsi ce chemin parcouru par le personnage à travers l'histoire du roman est-il le reflet de la position qu'occupe l'homme dans l'univers. Le héros chevaleresque a laissé place à « l'homme absurde » de Camus qui devra travailler à reconstruire son rang dans le monde.
PERSONNAGES-CLÉS
- La princesse de Clèves dans La Princesse de Clèves, Mme de La Fayette, 1678
- Manon Lescaut dans Manon Lescaut, Abbé Pévost, 1753
- Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir, Stendhal, 1830
- Lucien de Rubempré dans Illusions perdues, Balzac, 1843
- Emma Bovary dans Madame Bovary, Flaubert, 1857
- Ferdinand Bardamu dans Voyage au bout de la nuit (1932), suivi de Mort à crédit (1936), Céline