Scène de Séparation - La Princesse de Clèves
De "J'avoue, répondit-elle, que les passions peuvent me conduire.." jusqu'à "...sans que Mr de Nemours puisse la retenir"
I - Un discours argumenté, qui oppose la logique de la raison à la passion
Le discours de la Princesse a un caractère argumentatif fort : elle explique et justifie son renoncement. Elle présente les deux principaux arguments qui lui font refuser d'épouser Mr de Nemours, alors qu'il n'y a plus aucun obstacle à leur amour :
A) Échapper à la temporalité de l'amour - 1er argument
Peur de l'infidélité → Elle rappelle avec précision son pouvoir de séduction et son caractère de séducteur :
- Progession des adverbes "il y en a peu à qui vous ne plaisiez" ; "il n'y en a point à qui vous ne puissiez plaire" : double négation pour exprimer une affirmation
- Antithèse + Emploi du conditionel "Je vous croirais toujours amoureux" ; "je ne me tromperais pas souvent" → elle dresse le tableau de l'hypothétique malheur qui l'attend si elle l'épouse
- Hyperboles "une douleur mortelle" ; "de si cruelles peines" ; "le plus grand de tous les maux"
Cf. Maxime 75, La Rochefoucauld :
L'amour aussi bien que le feu ne peut subsister sans un mouvement continuel; et il cesse de vivre dès qu'il cesse d'espérer ou de craindre
- La Rochefoucauld
B) Devoir de fidélité envers son mari, par delà la mort, et sa culpabilité - 2ème argument
- Question rhétorique "pourrais-je m'accoutumer à celui de voir toujours Mr de Clèves vous accuser de sa mort" → Désarroi + sentiment de culpabilité
C) La réfutation de Mr de Nemours
Face à ce discours argumenté exprimé par la raison et le devoir, Mr de Nemours présente la force des sentiments et de la passion qu'ils partagent :
- Questions rhétoriques "Pensez vous que vos résolutions tiennent contre un homme qui vous adore, et qui assez heureux pour vous plaire ? " → La raison est impuissante face aux sentiments
- Généralisation du "nous" + présent de vérité générale "Il est plus difficile que vous ne pensez, madame, de résister à ce qui nous plait et ce qui nous aime" → nous = les hommes en général
II - Une scène pathétique et théâtrale
La scène de la séparation est éminemment romanesque, mais elle est également présentée sous l'angle d'une représentation théâtrale.
A) Dimension pathétique
- Exclamations fortes "Hé !" ; "s'écria Mr de Nemours" ; "s'écria-t-elle"
- Ponctuation expressive "le pouvoir madame ?" ; "son attachement au votre ?" ; "assez heureux pour vous plaire ?" ; "de n'avoir plus d'amour ?" ; "Hé !" → Lamento des personnages
- Saturation de l'émotion "ses pleurs" ; "avec des yeux un peu grossis par les larmes" ; "se jeta à ses pieds"
B) Une scène de tragédie
- Vocabulaire tragique "la destinée" ; "un obstacle" ; "cet objet funeste"
- Questions rhétoriques "Croyez vous .. ?" ; "Pensez vous .. ?"
- Longues répliques = longues tirades
- Didascalies "se jeta à ses pieds" ; "elle sortit"
III - Une héroïne sublime
A) La difficulté de son choix comme dépassement d'elle même
- Hyperbole "je sais bien qu'il n'y a rien de plus difficile que ce que j'entreprends"
- Répétition du verbe défier "je me défie de mes forces" ; "je me défie de moi même" → Conscience de la fragilité de son courage
- Oppostion de toute sa volonté à la passion
B) L'aspiration à la sérénité et au calme des passions
Elle se méfie des passions et est à la recherche d'une forme d'ataraxie : "mon repos"
Elle fait penser aux héros cornéliens (dont le devoir passe avant la passion) de par la force de sa volonté qui s'apparente au sublime.