Voyage au bout de la nuit
"Ces Allemands accroupis sur la route, têtus et tirailleurs, tiraient mal, mais ils semblaient avoir des balles à revendre, des pleins magasins sans doute. La guerre décidément, n'était pas terminée ! Notre colonel, il faut dire ce qui est, manifestait une bravoure stupéfiante ! Il se promenait au beau milieu de la chaussée et puis de long en arge parmi les trajectoires aussi simplement que s'il avait attendu un ami sur le quai de la gare, un peu impatient seulement.
Moi d'abord la campagne, faut que je le dise tout de suite, j'ai jamais pu la sentir, je l'ai toujours trouvée triste avec ses bourbiersqui n'en finissent pas, ses maisons où les gens n'y sont jamais et ses chemins qui vont nulle part. Mais quand on y ajoute la guerre en plus, c'est à pas y tenir. Le vent s'était levé, brutal, de chaque côté des talus, les peupliers mêlaient leurs rafales de feuilles aux petits bruits secs qui venaient là-bas sur nous. Ces soldats inconnus nos rataient sans cesse, mais tout en nous entourant de mille morts, on s'en trouvait comme habillés. Je n'osais plus remuer.
Ce colonel c'était donc un monstre ! À présent, j'en étais assuré, pire qu'un chien, il n'imaginait pas son trépas ! Je conçus en même temps qu'il devait y en avoir beaucoup des comme lui dans notre armée, des braves, et puis tout autant sans doute dans l'armée d'en face. Qui savait combien ? Un, deux, plusieurs millions peut-être en tout ? Dès lors ma frousse devint panique. Avec des êtres semblables, cette imbécilité infernale pouvait continuer indéfiniment.. Pourquoi s'arrêteraient-ils ? Jamais, je n'avais senti plus implaçable la sentence des hommes et des choses.
Serais-je donc le seul lâche sur la terre ? Pensais-je. Et avec quel effroi !... Perdu parmi deux millions de fous héroïques et déchaînés et armés jusqu'au cheveux ? Avec casques, sans casques, sans chevaux, sur motos, hurlants, en auto, sifflants, tirailleurs, comploteurs, volants à genoux, creusant, se défilant, caracolant dans les sentiers, pétaradant, enfermés sur la terre comme dans un cabanon, pour y tout détruire, Allemagne, France et Continents, tout ce qui respire, détruire, plus enragés que les chiens, adorant leur rage -ce que les chiens ne font pas- cent, mille fois plus enragés que mille chiens et tellement plus vicieux ! Nous étions jolis ! Décidément, je le concevais, je m'étais embarqué dans une croisade apocalyptique."
_ langage familier ; oralisé
Le personnage ici, Bardammu est un anti héros (Barda = matériel de soldat / mu = muer = déplacer)
Le texte est son monologue en temps de guerre (Première Guerre Mondiale) dans lequel l'auteur met en évidence sa peur, sa fuite et sa lacheté
→ Critique de l'héroïsme et du courage, ici qualifiée de folie, de destructeur, de meurtre.
Le message délivré par le personnage est qu'être lâche = être sain
Il faudrait fuir plutôt que de faire preuve de courage qui s'apparentrait à de la folie.
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